Aujourd'hui, partout au Canada et dans le monde, les gens marchent pour la science. Aux États-Unis, sous l'administration Trump, le rejet et l’élimination du financement de la science – notamment de la science du climat et de l'environnement – rend encore plus urgents les efforts de protection et de promotion de la science dans l'intérêt public. L’immigration toujours plus restreinte chez nos voisins du Sud pousse également beaucoup de scientifiques doués à chercher leur avenir ailleurs, y compris au Canada.
Il est sans doute facile et réconfortant de penser que l'élection du gouvernement Trudeau, en 2015, a réglé ce genre de problèmes au Canada. Mais si le gouvernement Trudeau se montre beaucoup plus favorable à la science que son prédécesseur, de graves problèmes systémiques continuent de porter atteinte à l'intégrité et à l'avenir de la science publique au Canada. Le règlement de ces problèmes ne peut pas attendre une autre génération ou un autre gouvernement.
Selon un récent sondage mené par Environics auprès des scientifiques fédéraux et commandé par l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, plus de la moitié (53 %) des répondants continuent d’affirmer qu'ils ne peuvent pas parler librement de la science et de leurs recherches. Si la situation s’est nettement améliorée depuis 2013, alors que 90 % des répondants se disaient muselés, il n'est guère rassurant de savoir que moins de la moitié des scientifiques fédéraux sont libres de dire aux Canadiens comment ils gagnent leur vie – ou ce qu'ils savent. Tous ne sont pas démuselés depuis le nouveau gouvernement. Beaucoup font porter le blâme à la culture de gestion créée par près de 10 ans de politiques harpériennes.
Grâce à sa victoire révolutionnaire de l’an dernier pour l'intérêt public, notre syndicat a négocié collectivement le droit des scientifiques fédéraux de parler de la science et de leurs recherches. Mais la qualité de ces droits dépend des efforts déployés pour les promouvoir et les faire respecter. Le problème des scientifiques trop peu nombreux à se sentir autorisés à s’exprimer ne pourra se régler qu’en redoublant d’efforts pour sensibiliser à la fois les scientifiques et les gestionnaires à leurs obligations et à leurs droits respectifs.
Ensuite, il y a la question des femmes en science. Pour un gouvernement qui s'enorgueillit de son féminisme, y compris de la nomination de femmes hautement qualifiées aux postes clés de ministre des Sciences et de conseillère scientifique en chef, le fait que près de la moitié (42 %) des femmes scientifiques fédérales considèrent le sexisme comme un obstacle à leur avancement professionnel devrait sonner l’alarme. Ce problème, toujours selon l’enquête d’Environics, touche particulièrement les femmes en science de moins de 30 ans, deux fois plus susceptibles que leurs aînées de percevoir un favoritisme envers les hommes dans le processus d'embauche.
Par ailleurs, un sondage plus vaste, celui-là mené auprès des fonctionnaires fédéraux en 2017 par le Groupe de travail syndical-patronal sur la diversité et l'inclusion dans la fonction publique, révèle que 74 % des répondants identifient les préjugés comme un obstacle majeur à la diversité et à l'inclusion au travail.
La science, tout comme l’embauche de scientifiques, devrait être libre de tout préjugé apparent.
Parmi les menaces persistantes à l'intégrité et à l'avenir de la science canadienne, mentionnons les ressources budgétaires réelles dont disposent les scientifiques que le Canada emploie. Malgré les importants réinvestissements dans le Conseil national de recherches et l’argent frais pour stimuler l'innovation (principalement destiné au secteur privé et aux universités) qui ont été inclus dans le budget fédéral de cette année, les séquelles de l’ère Harper empêchent le rétablissement financier complet des ministères. En fait, ce même sondage nous apprend que 58 % des répondants pensent que leur ministère respectif n’a pas les ressources pour remplir son mandat.
Cependant, de toutes les préoccupations soulevées par les répondants scientifiques fédéraux en 2013 et en 2017, la protection des dénonciateurs demeure la plus importante. En 2013, 88 % des scientifiques fédéraux interrogés croyaient que le public serait mieux servi par des lois protégeant les dénonciateurs plus rigoureuses. En 2017, 89 % l’affirmaient encore.
La transparence ne devrait pas coûter la carrière d’un employé. Dans un pays et un monde où la science est indispensable pour vaincre l'ignorance et résister aux idéologies, il importe plus que jamais de protéger les dénonciateurs.
C’est peut-être d’ailleurs la meilleure raison de marcher pour la science.
Debi Daviau est présidente de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), qui représente plus de 55 000 scientifiques et autres professionnels, employés pour la plupart au gouvernement fédéral.