Le texte d’opinion suivant du président de l’Institut, Sean O’Reilly, a été publié le 13 novembre dernier dans le National Newswatch.
Le budget 2025 du gouvernement fédéral, qui a été déposé la semaine dernière, promet discipline, modernisation et efficacité. Ces mots peuvent sembler rassurants. Mais la vraie question demeure : efficace pour qui? Et à quel prix pour le Canada?
Le budget 2025 n’est pas un exemple de prudence financière. Il s’agit d’une expérimentation à haut risque qui touchera tous les ministères, tous les programmes et tous les services dont dépendent les Canadiennes et les Canadiens.
L’un des principaux points à retenir de l’exercice financier est le projet de supprimer environ 40 000 emplois dans la fonction publique au cours des prochaines années. Lorsque les gouvernements procèdent à des changements aussi radicaux, les Canadien·nes en payent toujours le prix. Les inspections alimentaires sont plus espacées. Les situations d’urgence sont plus longues à maîtriser. Les systèmes numériques s’affaiblissent au fur et à mesure que les cyberattaques se multiplient.
Il ne s’agit pas de risques abstraits. Ce sont les fonctions quotidiennes qui assurent la cohésion de notre pays.
Les Canadien·nes veulent que leur gouvernement dépense judicieusement. Les professionnel·les de la fonction publique veulent la même chose. Cependant, il existe une grande différence entre améliorer le fonctionnement du gouvernement et réduire sa capacité à remplir ses missions. L’efficacité ne peut se faire au détriment de la sécurité, de la stabilité et de la confiance.
Nous avons vu ce qui se passe lorsque des économies à court terme sont privilégiées par rapport à des investissements judicieux. Dans les années 1990, la réduction des effectifs a entraîné la fermeture de laboratoires et la suppression de services régionaux, ce qui a entraîné une perte d’expertise pour toute une génération. La « rationalisation » des années 2010 nous a donné le système de paye Phénix, un projet informatique toujours défectueux dont la réparation coûte encore des milliards de dollars. Chaque soi-disant ère d’efficacité se termine de la même manière : des programmes charcutés, le personnel démoralisé et des factures plus élevées par la suite.
La fonction publique d’aujourd’hui est confrontée à ce même risque, cette fois, sous la bannière du renforcement du pays. Le gouvernement dit qu’il veut de l’innovation, un service plus rapide et une meilleure technologie. C’est ce que nous voulons aussi. Mais on ne peut pas innover en éliminant les personnes qui effectuent le travail. On ne renforce pas un pays en supprimant le financement des systèmes qui le font fonctionner.
Derrière les chiffres de l’emploi se cachent des personnes que la population canadienne voit rarement, mais sur lesquelles elle compte chaque jour : les scientifiques qui analysent ses aliments et son eau, les météorologues qui surveillent les feux de forêt, les ingénieur·es qui inspectent les ponts et les spécialistes en cybersécurité qui protègent ses réseaux contre les attaques. Réduire leur capacité ne fait pas que réduire la taille du gouvernement, cela affaiblit également la résilience du Canada.
Les professionnel·les de la fonction publique ont déjà fait preuve d’une réelle efficacité. Lorsque la pandémie a frappé, ce sont les fonctionnaires qui ont mis en place le système de Prestation canadienne d’urgence (PCU) en six semaines. Il n’y a pas eu de contrats privés astronomiques ni de chaos; juste de la compétence. Lorsque l’expertise est reconnue et dotée des ressources adéquates, c’est ainsi que se manifestent l’efficacité et l’innovation authentiques. La fonction publique peut et doit faire partie de la solution, mais uniquement si elle dispose encore des effectifs et des outils nécessaires pour remplir ses missions.
Une véritable efficacité signifie des investissements plus judicieux, pas des réductions plus importantes. Cela signifie donner aux professionnel·les les moyens de se moderniser de l’intérieur, et non pas vider le pays de son expertise et le rendre, par le fait même, vulnérable. Cela signifie investir dans les employé·es qui fournissent des services publics cruciaux, plutôt que de recourir à la sous-traitance qui coûte à l’heure actuelle environ 26 milliards de dollars.
Les Canadiennes et Canadiens souhaitent avoir l’assurance que, lorsqu’une crise survient (une inondation, un feu de forêt, une cyberattaque), quelqu’un prend les choses en main. Ils et elles veulent un gouvernement qui protège ce qui assure leur sécurité et leur stabilité, et non un gouvernement qui met en péril les services dont ils et elles dépendent.
Le budget 2025 met cette sécurité en péril. Il traite la fonction publique comme une dépense à gérer plutôt que comme l’infrastructure qui assure le fonctionnement de notre économie, de notre environnement et de nos communautés. Des réductions aussi importantes ne permettent pas d’alléger le gouvernement. Elles l’affaiblissent.
Derrière chaque soi-disant efficacité se cache un service que les Canadien·nes vont perdre. Derrière chaque économie se cachent la sécurité, les moyens de subsistance et l’accès aux éléments indispensables au bien être d’une personne. La compétence ne peut pas être obtenue grâce à des réductions.
Si nous voulons un gouvernement qui réponde aux attentes des Canadiennes et des Canadiens, nous devons protéger les personnes et les systèmes qui rendent cela possible. Car lorsque ceux-ci auront disparu, les dommages ne se mesureront pas seulement en nombre d’emplois perdus, mais aussi en perte de sécurité et de stabilité pour le pays lui-même.
Sean O’Reilly, président de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC)

