En 2001, j’ai dû me battre pour avoir un congé parental.
Lorsque je travaillais au gouvernement fédéral et que j’étais enceinte de mon troisième enfant, mon employeur refusait d’appliquer une nouvelle loi qui prolongeait le congé parental de 6 à 12 mois, de même qu’une disposition de notre convention collective à cet effet.
J’ai fini par convaincre mes collègues de rédiger une note d’information que notre sous-ministre adjoint a utilisée pour nous assurer 12 mois de congé parental supplémentaire, à moi et à toutes les femmes enceintes de mon ministère.
C’est de cette lutte qu’est née mon envie de m’impliquer dans mon syndicat.
N’oublions pas que c’était la fonction publique fédérale, un milieu de travail censé être exemplaire.
Je pensais que personne – et encore moins un fonctionnaire – ne devrait avoir à se battre autant pour prendre soin de sa famille. Eh bien, j’avais tellement tort!
Les temps ont changé, mais les difficultés demeurent.
La hausse rapide du nombre de parents milléniaux sur le marché du travail, le déclin de la génération du baby-boom, la précarisation de l’emploi, le coût élevé du logement, la baisse des attentes envers l’économie mondiale contribuent à mettre en évidence le besoin le plus important (ou celui qui devrait l’être) : passer plus de temps avec sa famille. Selon un récent sondage (lien en anglais seulement) international mené auprès de 3000 travailleurs dans 8 pays (dont le Canada), la priorité absolue de la plupart des travailleurs, c’est de passer plus de temps avec leur famille.
En 2017, le gouvernement Trudeau annonçait que tous les parents employés à la fonction publique fédérale auraient la possibilité de prolonger encore plus leur congé parental. De 35 semaines, comme actuellement, sa durée pourrait passer à 61 semaines. Pour un gouvernement élu notamment parce qu’il est favorable à la classe moyenne, au féminisme et à l’amélioration de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, cette mesure semblait raisonnable et progressiste.
Mais l’une des faiblesses évidentes de cette politique, dès le départ, fut de ne pas prévoir de fonds supplémentaires pour financer ce congé parental prolongé. Évidemment, les parents peuvent prolonger leur congé, mais ils doivent le faire avec le même budget. Ils peuvent choisir de recevoir des prestations parentales de l’assurance-emploi (AE) au taux actuel de 55 % de leur rémunération hebdomadaire moyenne pendant 35 semaines ou d’en recevoir pendant un maximum de 61 % à un taux de 33 %.
Les employeurs tels que le gouvernement fédéral doivent alors répondre à cette question épineuse : comment le gouvernement fédéral peut-il montrer l’exemple et rendre le congé parental prolongé financièrement possible pour les fonctionnaires fédéraux?
Par ailleurs, le congé parental n’est pas le seul congé payé dont les parents au travail ont besoin.
Quelles protections existe-t-il pour éviter qu’un soutien de famille perde son emploi ou subisse des pertes financières catastrophiques en s’occupant d’un membre de sa famille gravement malade ou en phase terminale? Selon l’Association canadienne de soins palliatifs, près du quart (23 %) des Canadiens se sont occupés d’un membre de leur famille ou d’un ami proche gravement malade au cours des 12 mois précédents et 41 % d’entre eux ont eu besoin de leurs économies personnelles. Des modifications à la loi fédérale, également annoncées en 2017, assurent la sécurité d’emploi et jusqu'à 26 semaines de congé à un taux pouvant atteindre 55 % du salaire moyen pour fournir des soins palliatifs et de compassion à un être cher. Mais vu le pronostic incertain de nombreuses maladies, combien de gens trouvent ces prestations adéquates?
Nous rêvons tous d’avoir une famille heureuse. Malheureusement, certaines personnes ont des rêves beaucoup plus modestes : ne pas vivre dans la violence. Des congés spécialement conçus pour aider les victimes de violence familiale à obtenir l’aide juridique ou une autre forme d’aide dont elles et leurs enfants ont besoin sont reconnus comme essentiels, même s’ils sont rarement utilisés. L’Australie fait œuvre de pionnier à cet égard. Ainsi, en 2016, l’État de Victoria accordait aux employés du secteur public jusqu'à 20 jours de congé payé pour violence familiale (lien en anglais seulement). L’an dernier, le Canada a annoncé (lien en anglais seulement) qu’il accorderait aux travailleurs du secteur privé sous réglementation fédérale un congé de 10 jours pour violence familiale, dont seulement la moitié serait payé. Mon syndicat et d’autres syndicats représentant des fonctionnaires négocient actuellement les dispositions sur les congés pour violence familiale que nous avons proposées.
Il ne devrait pas y avoir de plus ardent défenseur d’un congé parental mieux payé que le gouvernement qui a annoncé la prolongation de sa durée. Et l’absence flagrante d’augmentation des prestations d’AE est une importante lacune de la politique gouvernementale actuelle.
Il ne faut pas oublier que la prolongation peu généreuse du congé parental par le gouvernement a été accordée au moment même où la fonction publique continue de subir d’énormes perturbations en raison du fiasco Phénix. Essayez d’élever une famille quand vous n’êtes pas sûr de pouvoir toucher votre prochaine paye! J’ai des membres qui repoussent même l’idée d’élever une famille.
Et ceux qui ont une famille ont tellement d’histoires à raconter... Beaucoup déplorent le manque de congés pour s’occuper de membres de leur famille malades ou mourants : une jeune mère dont la maladie débilitante soudaine oblige son conjoint à prendre tous ses congés pour s’occuper de sa famille, un membre dont le conjoint a un cancer au stade 4 et n’a plus que quelques mois à vivre, une femme dont l’enfant est atteint d’allergies potentiellement mortelles, un membre qui doit subir une chirurgie et a besoin de soins postopératoires complets, une membre qui a un parent atteint de la maladie d’Alzheimer… Ces difficultés de la vie réelle sont d’autant plus accentuées par les sempiternels problèmes de fiabilité du système de paye Phénix, qui ont privé une membre de paye pour toute la durée de son congé de maternité. Comme l’a fait remarquer une membre au sujet des problèmes qu’elle a connus avec Phénix tout en luttant pour retrouver la santé : « Je peux honnêtement dire que me battre contre mon cancer a été plus facile que me battre contre Phénix ».
En passant, toutes ces personnes travaillent dans la fonction publique fédérale, qui offre des salaires et des conditions de travail supérieurs à ceux de la plupart des employeurs canadiens, grâce entre autres à la force des syndicats.
C’est pourquoi cette année, à la table de négociations, nos membres veulent principalement que le gouvernement fédéral fasse mieux en tant qu’employeur modèle en acceptant d’améliorer le congé parental, le congé de soignant, le congé pour maladie grave et le congé pour violence familiale.
Si le Canada veut être concurrentiel dans les secteurs les plus importants de l’économie mondiale, il devrait l'être aussi dans ce qui est le plus important pour les parents qui travaillent. (Ce n’est pas un hasard si les pays européens ayant des dispositions enviables en matière de congé parental, dont la Suède et le Danemark, figurent aussi parmi les pays où les inégalités de revenu sont les plus faibles du monde.)
Donner le bon exemple à d’autres employeurs et gouvernements (comme celui de l’Ontario) ne devrait pas être moins une priorité pour le gouvernement fédéral que pour les parents qui s’efforcent d’élever des enfants résilients à une époque où il est de plus en plus difficile de rêver. C’est impossible d’être un modèle avec le budget de l’an dernier.
Tant que tous les parents canadiens qui travaillent n’auront pas l’assurance de ne plus souffrir financièrement parce qu’ils n’ont pas de paye pendant qu’ils s’occupent d’un membre de la famille gravement malade ou mourant, tant que les parents n’auront pas le supplément nécessaire pour véritablement améliorer l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée que leur promettait le congé parental prolongé, et tant que la violence familiale ne sera plus un fléau pour certaines familles, les Canadiens devront attendre que le gouvernement canadien devienne enfin un employeur modèle et donne l’exemple.
Debi Daviau est présidente de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), qui représente près de 60 000 scientifiques et autres professionnels employés principalement au gouvernement fédéral.
Cet article, dans sa version anglaise, a été publié pour la première fois sur le site du National Observer par la Présidente Debi Daviau.